entretien avec Audric Artaud
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00:43:09
document vidéo/transcription textuelle
février 2021
Rencontre à distance avec un jeune étudiant en faculté d'Histoire dont le projet est de monter sa ferme en Limousin.
C'est de son jardin que proviennent les melons d'eau jaune utilisés dans mes confitures.
Audric Artaud est étudiant en histoire. Au travers des publications agricoles, il étudie les populations du XVIIIe siècle au Québec, là où il réside en ce moment. Son souhait est de retourner s’installer dans sa région natale, en Charente et de débuter une exploitation agricole. Nous avons discuté par video conférence des implications de ses recherches et de son intérêt pour l’étude des pratiques agricoles et des populations paysannes, puis de son projet de rénovation d’une ferme. C’est dans son potager qu’ont poussés les melons d’eau jaune dont je me suis servi pour faire mes confitures. J’ai tenté de comprendre comment Audric se projette dans le métier d’agriculteur et quelles sont ses motivations pour retourner à la terre.
Audric Je m’appelle Audric, j’aurai 22 ans cette année. Je viens d’un petit village de Charente nommé Confolens. Je poursuis un master de recherche en histoire en Gaspésie, au Québec. J’étudie la reproduction sociale, l’agriculture, les marchés financiers, l’importance des prénoms et différentes choses qui me permettent de comprendre les niveaux de sociabilité à une toute petite échelle dans une population agricole. Le titre de mon mémoire cette année est « Les innovations végétales au Québec de 1840 à 1880 à travers la littérature agricole. » Ce que je veux faire plus tard, c’est avoir le plus d’impact positif sur mon environnement. J’aime l’histoire et il est important que des personnes cherchent à comprendre ce qui a été fait dans le passé pour expliquer les pratiques actuelles. De mon côté, je veux être actif à même la terre. Quand je suis en France, je suis toujours dans mon jardin.
Malo Peux-tu me parler de ton projet de ferme en Charente ?
A Je souhaite reprendre l’ancienne ferme où mon grand-père a grandi. Cela fait quelque temps que je réfléchis à ce projet de ferme. J’ai déjà des croquis et des plans. Il y a déjà beaucoup de bâti, ancien mais qui a du potentiel pour moi : la maison, les granges, le poulailler, les toîts à cochon. Je ne suis pas pour rajouter du bâtiment, à part une petite serre. J’aimerais partir d’un modèle qui se rapproche des méthodes utilisées dans les années 1860, et que j’étudie dans mes recherches d’histoire : des champs de cultures en rotation : une année on fait pousser du maïs sur celui-ci, du blé ou du surgot sur celui-là. Puis on fait tourner. 30 hectares me suffiraient. Mon idéal serait d’avoir quelques vaches laitières, quelques chèvres et quelques moutons qui pâtureraient dans les champs. Mais je ne veux pas que tous les espaces soient dédiés à l’alimentation des animaux. C’est la réserve que j’ai avec le système agricole actuel. Avec le potentiel que recèlent ces terres, il serait possible de faire des rotations longues, cultiver du blé en coopération avec un boulanger local, des légumes secs, d’autres plantes etc. Je souhaite trouver une certaine forme d’autonomie.
M Peux-tu m’en dire plus sur cette dernière idée ?
A La question est : comment arriver à toujours avoir assez d’eau pour la maison, le jardin et les cultures ? Selon ma consommation, je ne sais pas si le puits parviendrait à alimenter seul mes besoins. Il y a des sources locales d’eau mais elles ne sont pas directement à proximité. Je préférerais être autonome et ne pas être approvisionné par l’eau de la ville. Avec les toitures de la maison et des granges, il y aurait de quoi faire en récupération d’eau. Construire une cuve souterraine serait facile, mais les questions logistiques de son emplacement restent à être définies. Il serait possible de creuser une mare qui alimenterait la serre en eau et peut-être également les cultures. Pour le moment, les eaux usées de la maison ressortent dans le jardin, quelque part où le sol est légèrement en pente. Je réfléchis à construire des bassins remplis de plantes pour mettre en place un système de phytoépuration. Cette eau-là pourrait ensuite être utilisée dans les plantations. Selon mes calculs préliminaires, j’ai estimé une consommation de 1500 litres d’eau par semaine, un chiffre peut-être trop bas par rapport à ce que serait la réalité.
M Alors pourquoi ne pas vouloir être raccordé à l’eau courante ? Est-ce un souci financier ? Ou tout autre ?
A Car j’essaie de penser un système global dans lequel tous les éléments nécessaires au fonctionnement de la ferme seraient pris en compte. Je souhaite prendre conscience de l’enjeu que représente l’eau potable dans la vie de tous les jours et pour une exploitation de ce type.
M Et les autres questions énergétiques alors ?
A Bien sûr, j’essaie d’y penser. J’envisage des panneaux photovoltaïques sur les toîts des granges et une éolienne. Mais je ne suis pas encore complètement sûr de comment je compte m’y prendre. J’aimerais y réfléchir, c’est certain, mais cela ne sera pas ma priorité car la maison est déjà raccordée à l’électricité. Le point négatif de ce raisonnement, c’est que je peux tomber dans la facilité et, le moment venu, ne plus avoir envie de lancer le processus de devenir indépendant énergétiquement car j’aurai bien d’autres choses à faire.
M Que faire alors ? Régler le problème tout de suite ou bien laisser pour plus tard ?
A Je ne sais pas ! Je dois me focaliser sur les enjeux principaux et je suis obligé de considérer certaines questions comme secondaires, sur lesquelles je me pencherai par la suite, quand j’en aurai le temps.
M Tu exploites déjà avec ta famille les terres avoisinant la ferme.
A Nous avons commencé avec mon père à investir une partie des jardins autour de la maison dans le but d’en faire un verger. Nous avons planté des arbres en rangées avec plusieurs mètres d’écart et nous cultivons entre ceux-ci.
M Sera-t-il possible de maintenir cette « cohabitation » quand les arbres auront grandi ?
A À voir selon leur évolution, oui. Je sais par exemple que la ferme de permaculture du Bec-Hellouin¹ fait pousser de nombreuses cultures sous les arbres. Si assez de lumière continue de passer entre les feuillages, c’est tout à fait possible. Et s’il faut réduire la surface de cultures entre les arbres, cela sera toujours une utilisation positive du terrain.
M Tu as mentionné la ferme du Bec-Hellouin. Quel est ton positionnement au sujet de la permaculture et qu’aimerais-tu faire pousser dans ton exploitation ?
A Je ne souhaite vraiment pas m’orienter vers du maraîchage, qui est l’activité principale de la ferme du Bec, car je pense que cela représente trop de travail pour trop peu de rendement. Je plante de nombreux arbres fruitiers.
M Comment as-tu fait pousser les melons d’eau jaune que j’ai eu la chance d’utiliser dans mes confitures ?
A Dans le jardin de la maison, nous cultivons différentes plantes. Mon père et mon grand‑père n’ont utilisé le terrain que partiellement jusqu’à aujourd’hui. Depuis deux ans, nous avons fait le choix de cultiver toutes les terres disponibles. Nous avons utilisé des bâches plastiques pour tuer le chiendent et les mauvaises herbes sur les champs que nous voulions investir à nouveau. Ce n’est pas le plus écologique mais c’était très efficace. À côté de cela, j’avais semé des graines de melon d’eau en pot et je m’étais retrouvé avec de nombreuses pousses. Je les ai planté dans la partie bâchée du champ, là où des trous étaient apparus. Une dizaine de pieds tout au plus. Mon père a arrosé durant l’été. Les pieds ont poussé en un rien de temps et ont donné chacun au moins vingt à vingt-cinq melons ! À la fin de l’année, nous avions tellement de melons d’eau que nous ne savions pas quoi en faire.
M C’est ainsi que tu as commencé à les distribuer autour de toi. Une de tes amies qui étudie à l’ENSA Limoges a ramené plusieurs melons d’eau qu’elle a distribués à d’autres étudiant·e·s. Une fille voulait les utiliser pour une performance mais, considérant qu’ils n’étaient pas adaptés pour ce qu’elle souhaitait faire, me les a finalement transmis. Mais alors, comment se fait-il que la récolte ait été si abondante ?
A D’abord, la terre est bonne à cet endroit. Elle est argileuse et un peu lourde. De plus, la bâche a empêché une éventuelle concurrence de pousser autour des melons d’eau et a protégé les pieds de la chaleur, qui ont pu proliférer.
M J’ai entendu parler d’une ferme qui pose des bâches sur ses terres, qui plante des semis et qui laisse pousser les cultures sans y toucher.
A Oui, cela revient à la mode. C’est ce qu’on appelle cultiver sur sol vivant : proche de la permaculture, c’est une technique qui consiste à recouvrir le sol de débris organiques, de foin, de BRF [Bois Raméal Fragmenté], de feuilles… Nous essayons aussi d’expérimenter cela dans le jardin. Cela fait quelques années que l’on paille le sol et que l’on ne bêche pas à certains endroits. Cela paraît être une bonne méthode. À voir avec le temps. Il faut expérimenter dans son contexte, avec ses techniques, ses façons de faire.
M Comment fais-tu le lien entre tes recherches d’histoire paysanne au Canada au XIXe siècle et ton projet d’exploitation agricole ?
A J’essaie de réfléchir aux innovations agricoles et à comment elles sont réceptionnées. Je m’intéresse principalement à l’introduction de nouvelles espèces ou à la sélection de semences. J’ai lu un journal agricole, La Gazette des Campagnes, sur une période de vingt ans, la deuxième moitié du XIXe siècle. L’un des principaux conseils récurrents était d’introduire de nouvelles cultures de façon progressive, d’abord sur une petite surface, pour tester. Puis, si cela semblait marcher, développer la culture à plus grande échelle, et toujours en fonction de la potentielle rentabilité, bien sûr. Je suis peut-être vieux jeu, mais ce sont de précieux conseils que je compte appliquer pour mes cultures. Avec les innovations d’aujourd’hui, cette idée d’avancer pas à pas et d’adapter les techniques et les espaces à nos besoins est encore plus d’actualité. Pour se préparer aux changements climatiques et de nos modes de consommation, je réfléchis aux différentes manières de diversifier mes activités. Nous avons planté des châtaigniers aux abords de la ferme. Un ami éleveur a planté une haie d’amandiers, prévoyant un potentiel changement d’activité dans le futur. J’observe aussi les possibilités de faire pousser en Charente des arbres fruitiers qui ne sont pas traditionnellement implantés dans cette région comme des orangers, toujours par cette même méthode de l’expérience à échelle réduite, en choisissant plusieurs variétés différentes, en faisant venir des porte-graines d’autres régions, en réalisant des greffes. En prévision aussi des conséquences du réchauffement climatique…
M Comment vois-tu évoluer le métier de paysan dans les années qui viennent et comment te projettes-tu en tant qu’agriculteur ?
A J’ai envie d’être positif. J’ai l’impression qu’il y a un intérêt renouvelé pour les pratiques agricoles aujourd’hui et un relatif retour à la terre. Les villes commencent à réfléchir aux façons de nourrir la population plus localement et comment attirer de nouveaux agriculteurs sur leurs territoires de proximité. Beaucoup d’agriculteurs vont partir à la retraite ces prochaines années et ne seront, dans la perspective actuelle, pas remplacés. Il faut arriver à les remplacer sinon les superficies des fermes vont continuer d’augmenter.
M …En opposition à des exploitations d’envergure plus réduite, mais plus attachées au tissu local. Quel est ton sentiment en allant contre la tendance générale au délaissement des campagnes ?
A Je trouve de plus en plus d’espoir en voyant émerger des initiatives de fermes locales, engagées et communautaires dans ma région. L’enjeu qui apparaît désormais est de savoir comment cette nouvelle génération d’agriculteurs locaux et parfois radicaux dans leurs pratiques peuvent intégrer les réseaux agricoles existants et qu’un échange se crée.
M Comment comptes-tu financer ton projet de ferme ?
A Très pratiquement, je devrai d’abord passer un diplôme agricole afin de commencer à cultiver en tant qu’exploitant agricole, sans quoi je n’aurai légalement pas le droit de le faire. Au cours de cette formation, je serai informé des méthodes de financement. Pour la suite, les choses sont floues. La région offre des aides aux agriculteurs, notamment. Je pense acheter des terres autour de la ferme existante. Pour rentabiliser cet investissement, il faudra tirer un revenu de mon exploitation. C’est pour cela que je devrai prioriser certains aspects du projet dont je te parle aujourd’hui plutôt que d’autres.
M Comment envisages-tu la vente de produits agricoles ? Vendre à la ferme ou bien passer par des intermédiaires ?
A Cela dépend des produits. La vente à la ferme pourrait être une bonne solution pour ne pas passer trop de temps sur les marchés par exemple. La boutique de producteurs serait aussi une bonne idée. J’aimerais passer par un intermédiaire qui valorise mieux le travail que la grande distribution. J’ai aussi cet espoir que les petits villages trouvent de nouvelles populations et de nouvelles initiatives afin que des projets type épiceries locales puissent voir le jour à cette échelle-là. Ce serait une façon de redynamiser le tissu local. Au début du XXe siècle, les milieux paysans possédaient leur propre dynamique : il y avait une population, des réseaux, des activités. J’idéalise peut‑être cette époque.
M Que faire pour retrouver ce dynamisme rural ?
A La question des transports est centrale, je pense. Mon grand-père prenait le train et le tramway pour se rendre à Limoges et il faisait l’aller-retour dans la journée. Aujourd’hui, tous les trajets se font en voiture. Faciliter l’accès aux zones rurales est un des enjeux pour aller dans ce sens. Au Canada, les distances sont totalement différentes et les mentalités aussi. Prendre la voiture des heures durant est une chose banale ici, quand passer deux heures dans les transports est pour moi une peine. Je suis très attaché au territoire rural dans lequel j’ai grandi. Ayant étudié au Canada et avant cela au Danemark, je comprends que mes convictions, environnementales notamment, sont très liées à ma campagne d’origine et que je suis poussé à retourner m’y installer. C’est pour ça que j’aimerais participer à la redynamisation de ces milieux. Une autre façon de créer du lien dans les territoires ruraux serait la mise à disposition d’espaces et d’outils de transformation communs dans les villages. Cela pourrait être un espace de convivialité et de perpétuation des savoirs-faire. Cela permettrait même pour les agriculteurs locaux la production à petite échelle de céréales et de plantes dont les procédés de transformation sont lourds et coûteux mais qui, mis en commun à l’échelle locale avec des outils modernes et entretenus, deviendrait envisageable (comme la betterave sucrière, les pommes à jus, les châtaignes…).
M Pourquoi être si attaché à ton milieu rural ?
A Je trouve que les gens en campagne sont plus chaleureux. Il y a plus facilement de l’entraide et des liens qui se créent. Chacun apprend de l’autre. En ville, on se croise sans se regarder. On ne tente plus de connaître son voisin ou les personnes que l’on rencontre tous les jours.
M Que fais-tu avec la production du jardin pour le moment ?
A Pour conserver nos fruits et légumes, nous faisons beaucoup de conserves et de confitures. Les placards en sont remplis. Mais une chose reste problématique. Nous sommes dépendant du sucre, que nous achetons en magasin. Nous achetons le produit le moins cher, car nous en utilisons énormément. Mais c’est dommage de faire pousser de bons produits et de les travailler avec un sucre de mauvaise qualité. Quelle solution alors ? Du sucre bio qui vient des Caraïbes ou du Brésil ? Dur de faire local…
M Dans les Hauts-de-France, les agriculteurs de betterave à sucre commencent à développer des filières bio et locales…
A C’est bien mais il y a une hyper spécialisation de la betterave dans le Nord de la France. Pourquoi n’aurions-nous pas notre propre filière de betterave à sucre locale ? Je vais essayer de récupérer des graines de betterave à sucre prochainement. Mais je ne sais pas si cela va donner grand chose car le processus de transformation en sucre est très long : broyage, distillation, cristallisation… Cependant, d’autres ingrédients sont envisageables comme le miel ou bien les sirops d’autres plantes comme le sorgho, une céréale encore méconnue en France mais aux utilisations multiples. À voir maintenant les changements en termes de goût, de prix…
M C’est vrai, dans une confiture, le sucre peut représenter jusqu’à la moitié du produit ! En sachant que les méthodes de conservation sont toutes aussi variées que les différents sucres utilisables, cela représente de nombreuses combinaisons possibles.
A Il serait intéressant de penser une expérimentation à grande échelle en utilisant les melons d’eau avec plusieurs agents sucrants, mis en pot avec différents procédés de stérilisation et ainsi observer les propriétés gustatives et de conservation des confitures obtenues. Cela peut constituer un travail de recherche à part entière.
¹ La Ferme du Bec-Helloin: https://www.fermedubec.com/