malo
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everyday pédaler is very important for the glaciers not to melt
aka P'tit Névé
16/01/2023
Aujourd'hui, je me rends à Armiaz, sur un coup de tête.

Armiaz c'est le petit hammeau en haut de la colline d'en face. Il me faut d'abord pédaler jusqu'à Cranves-Sales, village en contrebas du massif des Voirons. Là, je dépose mon vélo et continue à pied. Je grimpe la colline. Nous sommes à la mi-janvier. Une épaisse couche de neige recouvre encore les champs. Et j'imagine un film dans lequel les personnages courent à travers champs et forêts. Leurs jambes s'enfoncent dans le profond manteau blanc. Ils semblent être poursuivis par quelque chose.

Moi, je ne peux pas marcher hors du sentier, car mes chaussures sont trop fines. D'ailleurs elles sont déjà trempées et mes chaussettes avec elles. Je passe devant l'arrêt de bus d'Armiaz. Je monte encore un peu plus haut, jusqu'à la lisière de la forêt. D'ici, je peux très bien voir le lac Léman et les environs de Genève.

Mais ce qui m'intéresse d'avantage, c'est toute cette neige qui m'entoure. Je ressens l'harmonie qui règne ici entre les habitants et les manifestations du froid, à 500 mètres à peine au-dessus de Genève et d'Annemasse où la panique est de mise au premier flocon sur la route et où il ne faut jamais très longtemps à la neige pour devenir gadoue. Ici, le froid semble être dans son élément.

Pourtant, tout l'écosystème dont témoigne cette neige me semble si précaire et menacé. Cet hiver, la neige a déjà fondu une fois totalement à cause du temps très doux avant de revenir début janvier. Il ne reste certainement que très peu de temps à celle-ci.

En redescendant, me vient alors l'idée de ramener un élément de ce paysage, dans le but incertain de le préserver, de l'empêcher de disparaître complètement. C'est sans doute insensé, infondé de faire cela... et pourtant, j'ai comme le sentiment que la neige ne reviendra peut-être pas. Alors je déloge une stalactite qui, ironiquement, tombe du flanc d'une remorque de camion. Mais elle est si belle, la baguette d'Armiaz, que ça ne me pose pas de problème.

Je m'imagine déjà une multitude de façon de faire vivre et voyager cette baguette... Mais en attendant, il faudra la stocker dans mon congélateur. Pour cela, je la glisse dans mon sac à dos que je garde à moitié ouvert. J'enfourche le vélo et je m'élance à toute berzingue sur la route qui descend vers Annemasse : la baguette d'Armiaz doit survivre, coûte que coûte.


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embryon d'oeuvre attitudaire durable
techniques mixtes
2023
28/02/2023
"Everyday pédaler is important for the glaciers not to melt"
Troisème proposition de travail en m'intéressant à faire le pont entre les glaciers des Alpes et ceux d'Islande.
Dossiers d'appels à projets pour l'Aide Individuelle à la Création et pour la 'Résidence Croisée à Reykjavík', ISLANDE de Artistes en Résidence, SIM Residency et Nylo.

Madame, Monsieur,

Cette note est une proposition ouverte, un projet qu’il me tient à cœur de réaliser en Islande. J’aimerais profiter de l’opportunité ouverte par « Artistes en Résidence » et « SÍM Residency » pour vous le partager afin de, peut-être, lui donner vie ensemble.

Artiste pluridisciplinaire, mes travaux s’intègrent au sein d’une démarche performative commune que j’envisage comme un comportement, une attitude appliquée à la vie quotidienne et qui se sert des mécanismes de la répétition, du déplacement, de l’effort pour créer du sens. La pratique de la performance est pour moi un champ ouvert pour répondre à de nombreuses interrogations que je porte en tant qu’artiste et citoyen : comment créer avec une contrainte matérielle créative, qui se sert des idées de faire avec peu, de recycler, de dépenser moins d’énergie comme tant d’opportunités pour penser de nouvelles formes artistiques ? Comment imaginer une création qui n’est pas soumise au diktat du marché de l’art ? Comment penser un art durable ou plutôt une durabilité de l’art ? Est-il possible d’envisager la valeur éthique comme déterminante des formes artistiques au même titre que la valeur esthétique (Maja et Reuben Fowkes) ?

Mon engagement écologique constitue l’essence de ma pratique. Il est ce pourquoi je suis artiste et il confère une dimension politique à l’ensemble de mes travaux. Mon intérêt pour la situation des glaciers islandais s’est éveillé lorsque j’ai commencé à me préoccuper de ceux qui se trouvent près de chez moi, dans les Alpes de Haute-Savoie. Ici, nombre d’entre eux ont grandement rétréci ces dernières années, voire pratiquement disparu (Névé des Chambres, Glacier de Folly, Glacier de Tête Rousse, Mer de Glace…). Il ne sont plus que des reliquats de ce à quoi ils ressemblaient il y a soixante-dix ans et leur rétrécissement d’année en année est visuellement alarmant. Certains étant réduits à l’état de « flaques » éparses. En Islande, la majesté des immenses glaciers demeure mais leur extinction est annoncée depuis la disparition d’Okjökull en 2014.

Au travers de ce projet, je souhaite tirer un fil entre les glaciers savoyards et ceux d’Islande et mettre en lumière les effets du réchauffement climatique qui les pousse vers un même destin funeste. J’aspire, par ce geste poétique empreint d’un total dévouement, à tisser une solidarité entre les glaciers et de consacrer leurs glaces tels des formes plus précieuses encore que des œuvres d’art.

Mon intention est de concevoir un vélo low tech, dont l’énergie produite par le pédalage est utilisée pour alimenter une glacière électrique arrimée au deux-roues. Parcourant, en amont de la résidence, ma propre région, je récolterai des glaces trouvées là où subsistent encore les glaciers. Puis je me rendrai en Islande avec le vélo. Sillonnant l’île depuis la ville de Seyðisfjörður (arrivée du ferry depuis Hirtshals, DK), je visiterai quelques-uns des plus importants glaciers pour y glaner des morceaux : artefacts trouvés à leurs extrémités, témoins glacés de la fonte qu’ils subissent. Je m’empresserai alors de conserver ces fragments de glacier dans ma glacière et de protéger leur intégrité à tout prix en continuant de pédaler, jusqu’à ma prochaine destination. Un itinéraire entre Seyðisfjörður et Reykjavík pourra ainsi être suivi en passant par Vatnajökull, Mýrdalsjökull, Eyjafjallajökull, Langjökull puis Snaefellsjökull.

Pour penser ce projet de façon réaliste, il est utile d’envisager dès aujourd’hui que nous devrions être deux pour faire ce voyage, afin que l’un de nous porte les bagages sur son vélo. J’aimerais tourner cette contrainte en une opportunité de proposer à des artistes islandais et des centres d’art locaux de prendre le relais sur le vélo-glacière pour une petite ou une plus grande partie du voyage, de sorte à ce que soit imprimée dans un effort solidaire la commune volonté de protéger nos glaciers entre l’Islande et la France. Nous pourrions imaginer que chaque nouveau glacier soit marqué par une rencontre humaine, avec ses propres apprentissages, échanges et partages, conférant ainsi au travail une dimension supplémentaire.

Ce voyage, qui pourra avoir lieu dans le courant du mois d’août, sera alors suivi, durant le temps de la résidence à Reykjavík, par un travail autour des morceaux de glace récoltés. La nécessité de continuer à pédaler pour alimenter la glacière sera une occasion de parcourir la capitale islandaise et de partager cette expérience avec les habitants : en fabriquant par exemple un système me permettant de pédaler sur place, comme il en existe pour faire du vélo chez soi (home trainer). Ce temps sera aussi consacré à la réflexion au sujet du futur du vélo et des fragments des glaciers. Seront-ils légués à un centre d’art qui s’occupera d’assurer l’alimentation (en énergie humaine !) de la glacière en continu, donnant ainsi une seconde respiration au projet ? Les glaces glanées en Islande seront-elles rapportées en France et déposées auprès de chacun des glaciers savoyards (et inversement) ? Ce serait alors l’occasion de penser la continuité du projet en conservant ce même désir de tisser des liens entre la France et l’Islande, en rencontrant les artistes locaux et les lieux d’art de la ville de Reykjavík.

Le temps de la résidence sera l’occasion pour moi de profiter d’un atelier (je travaille actuellement à domicile) que j’envisagerai à la fois comme un espace de travail, de bricolage, de respiration et d’approfondissement du projet, mais aussi comme un lieu où organiser des rencontres, un lieu de partage avec les artistes locaux et en résidence. Il servira à réfléchir aux formes que pourront prendre l’archivage, la documentation et le partage de ce projet en travaillant avec la matière glanée tout au long du voyage : textes, vidéos, photos… et les nouvelles expériences qui auront lieu à Reykjavík.

En tant que jeune plasticien, ce besoin de disposer d’un lieu dédié à ma pratique va de pair avec celui de bénéficier d’un financement et d’un support institutionnel. Ces aides matérielles et immatérielles qu’offre la résidence sont si importantes pour me permettre de passer le temps nécessaire à la recherche puis à la réalisation de projets au long court tel que celui que je propose : des temps qui, sans soutien, sont inévitablement réduits par l’exercice d’un travail alimentaire. La promesse de visibilisation du travail qui va de pair avec la résidence me permet aussi d’envisager de m’affranchir de l’obligation de correspondre aux codes, d’entrer dans le moule du marché de l’art et de poursuivre le développement d’une pratique singulière. Le support des institutions aux pratiques socialement engagées, transversales et du réel ouvre la voie vers une autre économie possible de l’art que je souhaite vivement explorer.

Pour conclure, je veux réaffirmer l’importance que revêtent les questions de durabilité dans ma pratique. La nécessité de penser une durabilité du processus artistique au même titre que la durabilité de l’œuvre, une écologie de la création artistique (dans le sens de l’« écosophie » formulée par Felix Guattari dans Les Trois Écologies), induit à mon sens de faire le choix de formes dont la portée éthique peut prendre le pas sur l’impact esthétique. Des formes qui pourtant ne perdent rien de leur dimension sensible, voire gagnent en lorsque le corps de l’artiste, placé dans un état de tension, d’ouverture et de dévouement total, sur le fil entre la réussite ou l’échec, insuffle à l’acte toute sa force poétique.

Le projet de lier Islande et France par le biais de nos glaciers me tient très à cœur et j’aspire sincèrement à l’incarner cet automne grâce à la collaboration de « SÍM Residency » et « Artistes en Résidence ». J’espère que cette note d’intention aura éveillé votre intérêt de poursuivre la discussion ensemble, au même titre que ce séjour à Reykjavík promet de me nourrir artistiquement, écologiquement et professionnellement.

En vous souhaitant bonne réception,
Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur mes sincères salutations.
malo barrette


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20/01/2023
"Baguette/Point 0"
Première proposition de travail avec la baguette d'Armiaz.

Quoi : un petit groupe de performeurs.euses se donne pour tâche d’apporter la baguette depuis Armiaz (?) jusqu’à … (?) -> à définir. La baguette étant faite de glace, ils doivent allier précaution, adresse et chance durant leur périple. Mon intention pour ce projet est de flirter entre réalité et fiction. Que le protocole puisse être confondu avec un synopsis. Ce qui m’intéresse au travers de cette action, c’est de raconter une histoire. Que les performeurs soient aussi les personnages et que leur implication dans la réalisation de la tâche qui leur a été confiée soit forte et plurielle.

De nombreux obstacles promettent de mettre en péril la baguette. Le plus terrifiant de tous étant bien sûr la météo, la potentialité d’une chaleur dépassant les 0°C et menaçant de faire disparaître la baguette. L’objet prend une aura sacrée.
La question de la température est au centre de la performance, c’est cette condition qui va déterminer s’il est possible ou non pour les performeurs de continuer leur action. La baguette glacée, au centre de toutes les attentions, objet le plus fragile qui soit, sensible aux moindres dérèglements, à la moindre secousse, revêt alors un double sens, une double incarnation : impossible de ne plus voir cette baguette telle une allégorie de la vie sur terre, si fragile et dont la première menace est le réchauffement de la température.

Qui : de 3 à 5 performeurs dont les occupations pourraient être artistes, mais aussi acteurs/comédiens, scientifiques, journaliste… l’idée étant de rassembler une équipe qui performe et capte à la fois cette action. Des performeurs qui réalisent l’action dans les deux sens du terme. Réunis à la volée, sans forcément se connaître avant le début de la « mission », ils forment un groupe l’espace de quelques jours/semaines (?) dont le seul but est de maintenir « en vie » la baguette de glace. Investis d’une tâche de la plus haute importance, ils mettent tous les moyens nécessaires et orchestrent la plus impeccable des danses, la plus harmonique des organisations pour que la baguette arrive à bon port. Ils sont accoutrés avec des costumes qui leur confère des looks de héros (?). En sous texte du protocole, les performeurs sont impliqués dans une histoire librement inspirée des/faisant référence aux récits d’aventure fantastiques :

"La baguette de glace doit être délivrée à Réré Pettah, qui est Lulu (the tschussen one). C’est seulement avec cette baguette qu’il arrivera à vaincre Woldmert, le grand méchant. Les performeurs embarqués dans le périple ont le destin du monde entre leurs mains !"

Quand : En hiver, la condition principale pour la réalisation de la performance étant qu’il fasse assez froid. C’est sur ce point que se joue l’intérêt de la performance, puisque c’est le « yo-yo » de la température, oscillant autour du point de fusion/solidification, qui doit créer la tension entre toutes choses : tension entre réussite et échec, tension entre réalité et fiction, tension du regardeur/spectateur devant le document du périple…

Où : D’un centre d’art à un autre ? En partant de Genève/d’Annemasse vers une destination atteignable en quelques jours (1, 2 semaines ?) à pied (ou en vélo ?). Trouver la raison du déplacement vers telle ou telle destination ? Est-ce que l’on doit invoquer une autre raison que celle de la fiction ? Ou est-ce qu’il s’agit simplement de mettre en lien deux centres d’art. Dans ce cas, quelle restitution dans chacun (quelque chose de différent ou simplement cérémonie de départ et cérémonie d’arrivée) ?

Comment : Avec les moyens les plus rudimentaires : à pied ou à vélo. Dormir en tente…


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07/02/2023
"Everyday pédaler is important for the baguette not to melt"
Deuxième protocole de travail avec la baguette.
Dossier remis au centre d'art contemporain de la Villa du Parc d'Annemasse.

Protocole:
=1 baguette glacée d’Armiaz (irremplaçable) (cf photo)
=1 vélo à production énergétique glaciale continue stationnaire
ou mouvant (cf schéma)
=1 performeur (avec participation possible des spectateurs/visiteurs…)

ACTION= Afin de faire fonctionner
la glacière arrimée au vélo dans laquelle est placée
la baguette glacée (irremplaçable),
le(s) performeur(s) pédale(nt) le temps nécessaire
à recharger la batterie chaque jour,
et ce pendant une période déterminée à l’avance
(X jours, X semaines, X mois…).

ACTION*= Chaque journée est documentée librement
dans un carnet de performance
(photos, pensées, participant·e·s et rencontres)
en vue de la réalisation d’une édition.

NOTE= À la fin de l’action performée,
la baguette glacée est transférée dans un congélateur
dont le fonctionnement n’est pas exclusivement dédié
au maintien de son intégrité/ à son stockage.

NOTE*=Dans le cas d’une utilisation future du protocole,
le vélo à production énergétique glaciale continue peut être remplacé
par un autre appareil produisant sa propre électricité.
La seule condition immuable demeurant dans le fait que
la force motrice actionnant cet appareil demeure toujours humaine.


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15/03/2023
Respiration à vélo et à pied au Salève.

Le Salève à vélo. Appel avec des amis. La neige qui commence déjà à fondre. Car il fait chaud. Le sentier au bord de la route. Les feuilles congelées. La faille dans la montagne. La cicatrice à vif. Des poteaux électriques ont été plantés pour garder la plaie ouverte. Le petit village sans fontaine. La maison au bord de la route. Le monsieur qui travaille là. Mon vélo accroché. Côté ville, côté montagne. Les pensées. Les voix des copains. Puis le silence. Puis les Alpes. Quelques nuages. Les molaires : quatre d’entre-elles. La pente douce. Entre les deux, le Mont Blanc. Ses flancs blancs s’étirent doucement. Au loin des rangées de sommets tels des une bardée de pics. Les nuages entre chaque montagne. Immobiles ou presque. La pierre rouge. Respiration.

Je ferai un dessin.


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20/03/2023
"Everyday pédaler is important for the glaciers not to melt", étape 1, solo : Concevoir exactement le mécanisme de production d’énergie.
Penser la construction, la faisabilité, les questions de poids, d’équilibre, d’étanchéité…

Matériel nécessaire pour le circuit électrique :
 Alternateur (courant alternatif) (Dynamo de vélo (système) : OK car produit du courant alternatif !)
C QUOI ? https://physique-chimie-college.fr/definitions-fiches-science/alternateur/
https://forum-auto.caradisiac.com/topic/211328-connaissances-de-lalternateur-r%C3%B4le-v%C3%A9rification-officiel/
http://tpeminicentralehydraulique.e-monsite.com/pages/le-generateur/quel-generateur-choisir/dynamo-de-velo.html
EX d’ALT :
Alternateur vélo électrique (peut être inversé ?)
15V 12A dynamo de tracteur

 Système de résistance : plus petite roue, si pas inclus dans kit alternateur
 Câblages (quel type)
 Transformateur continu/alternatif (pas nécessaire si alternateur)
 Batterie (500W) (Branchements Entrée/Sortie, Fonctionnement simultané)
 Glacière (ALPICOOL C15 45W)

Voltage, ampérage, puissance : y a-t-il des problématiques de compatibilités de voltage/puissance à prendre en compte ?

Avec qui travailler :
 https://www.faclab.ch/publication/ecocharge-bike
 Fabrice Vernay (Consultant/ Spécialiste technique)


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17/03/2023
Poursuivre le projet "Everyday pédaler is important for the glaciers not to melt"
Plan en solo si jamais personne ne veut me financer.

1 – Préparation du vélo-glacière : protocole de construction. Coût définitif des matériaux, plateforme d’achat, plan d’assemblage des éléments, circuit électrique, éléments supplémentaires (système home-trainer, anti-pluie…)
2 – Recherche de sponsors verts (dont ferry)
2bis – Communication/ partage du travail sur Instagram et site Internet
3 – Construction du vélo
3bis – Recherche d’institutions partenaires et de médias
3ter – Date, prise des billets
4 – Préparation physique et médicale
4bis – Préparation de l’itinéraire définitif, des logements etc.
5 – Début des voyages en Haute-Savoie (possibilité de tourner en ville)
6 – Départ pour l’Islande


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Everyday pédaler is very important for the glaciers not to melt est un travail pluriel et mouvant. Il est pensé comme une tentative d'art d'attitude durable, action dont la forme se rapproche d'une performance au long court, ayant comme intention d'éprouver l'art au travers de la vie. Projet dont le processus même fait oeuvre —fait "histoire", qui veut penser une pratique incluse dans le quotidien et dont l'intérêt artistique se trouve à tout moment de sa création : conception, réalisation, partage...
25/03/2023
Journée "Hackathon" à la FIDES Genève avec le groupe The EcoChargeBike, qui développe un prototype de vélo pouvant produire de l'énergie électrique.

9h: je rencontre le petit collectif d'EcoChargeBike, tou·s·tes étudiant·e·s en masters à l'Université de Genève. Ils participent à un hackathon, sorte de marathon durant lequel développeurs/innovateurs/programmeurs/inventeurs travaillent en groupe sur un projet à réaliser en 24h. L'équipe est composée de Dana, Erin, Elena, Joel, Mary, Axel et Selina... Ils planchent sur deux vélos, deux manières différentes de produire de l'énergie : la première grâce à une V-belt (courroie remplaçant les pneu et chambre à air de la roue arrière, enroulée autour du rotor d'un moteur) et un moteur DC ; la deuxième grâce à une petite dynamo (AC) branchée à un redresseur. Les deux système sont pensés pour sortir un courant continu (DC) pour alimenter un chargeur de téléphone directement ou au travers d'une batterie. Question voltage, ampérage et puissance, c'est encore un peu confus pour tout le monde... et je n'en sais pas plus qu'eux (moi qui révisais hier encore mes cours de Physique de 5e pour revoir les bases du circuit électrique).

L'équipe est très bien organisée, très bien huilée. On dirait des professionnels. Deux d'entre eux s'occupent de la partie électronique, deux autres construisent un pied en bois pour surélever la roue arrière d'un des deux vélo. L'une crée une présentation imagée pour le prochain "pitch". L'autre met en route les comptes du groupe sur les réseaux sociaux. Prenez six artistes et demandez-leur de se répartir les tâches comme ceux-ci le font si parfaitement : vous allez en avoir pour un bon moment.

Au prix de nombreux efforts et de multiples connexions infructueuses, nous parvenons au terme du défi à faire fonctionner le circuit à dynamo. Mais, faute de disposer d'un condensateur pour limiter le voltage entrant dans le chargeur, nous sommes obligés de pédaler à très faible rythme pour qu'un téléphone ou une tablette "accepte" la tension déployée.

En parallèle, j'aide à construire le pied en bois pour soutenir l'arrière du vélo : du bricolage... très instructif sur l'équilibre, le poids, les composants du vélo.

Finalement, c'est le moment de la présentation finale et l'équipe fait la démonstration de son prototype, avec grand succès auprès des autres équipes.

Je repars en ayant rencontré des enthousiastes de vélo (à production électrique) comme moi et en ayant fait l'expérience d'un petit peu d'électronique beaucoup plus concrète que mes schématisations hasardeuses.


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05/04/2023
Je commence à prendre contact avec les ONG dans le but de devenir ambassadeur pour l'une d'entre elles durant le voyage. En parallèle, je crée la page de communication sur le projet dédiée aux partenaires sur le site.

Note : jamais eu de réponse de la Villa du Parc. Réponse négative de la part de la résidence à Reykjavik. Pas grave, on se débrouillera autrement !


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22/04/2023
Maintenant que le projet est assez bien défini, j’ai besoin de créer des images. Je dois rendre tangible cette proposition pour la communiquer aux différents partenaires avec qui je veux travailler. Il est aussi question de documenter le travail artistique de façon à ne pas faire la même erreur qu’avec l’artiste confiturier, pour lequel je n’ai presque pas d’images ! Alors je ramène une glacière (pas électrique) de chez mes parents. Celle-là même qui est très reconnaissable, bleu fluo à la poignée blanche. J’imagine un dispositif en bois afin de fixer la boîte sur le vélo, au niveau du guidon. C’est une bonne façon de me rendre compte que je devrai trouver un autre moyen de transporter la glacière, puisque mon prototype de structure m’empêche de tourner le guidon correctement.

Nous sortons avec Camille un après-midi nuageux pour aller faire quelques photos. J’ai repéré un spot sur les flancs du Salève, où l’on peut voir les chaînes montagneuses des Alpes en arrière-plan. Cela donne une belle série d’images, mais je suis obligé de poser le pied pour me maintenir en équilibre sur le vélo. Mais bien sûr, tout ce qui compte c’est qu’on y croit, n’est-ce pas ? Entretenir ma détermination et la rendre contagieuse à d’autres, c’est un peu tout le cœur du projet, de toute façon. Mais il me tarde de monter le module final de la « glacière à propulsion », afin de pouvoir réellement sillonner les routes, en qualité de chambre froide ambulante.

Camille me parle de deux appels à résidence dont un qui permet à des artistes de proposer des ateliers à une classe de CM1/CM2. Déjà, je réfléchissais à partager le projet avec des enfants, par une correspondance ou un échange d’une autre forme. Je connaissais cette association, L’enfant@l’hôpital, qui met en relation des voyageurs avec des jeunes handicapés ou hospitalisés. Et puis, la question de la localité n’arrête pas de ressurgir. Je ressens le besoin de recentrer la proposition sur une zone géographique plus restreinte, de développer davantage la dimension de proximité. Puisque le projet impliquait déjà de faire le tour des Alpes afin de récolter plusieurs morceaux de glaciers, je décide de faire de cette « première jambe » du projet un travail à part entière, de lui consacrer autant de temps qu’il faudra.

Mon intention est donc désormais de trouver une classe de primaire ou de collège afin de mener un projet plus concret, pensé en deux actions parallèles : la première, celle de voyager, de glaner des fragments de glace et d’autres formes au cours de périples sur le vélo-glacière ; la deuxième, une série d’ateliers réfléchis pour les élèves, entre création d’un carnet de route collectif, rencontres avec les acteur·rice·s de la haute-montagne, sorties en nature ou dans des institutions… Ce va-et-vient de l’école à la montagne est une façon de tisser un lien intelligible et sensible entre les enfants et les glaciers.

Je repense également l’utilité du vélo-glacière en lui-même. Ce dispositif continue de faire sens pour moi, tant qu’il demeure un « connecteur », un lien. Cela ne fait pas sens d’accumuler différentes glaces glanées ça et là à l’intérieur de la glacière et de faire de cet objet une sorte de boîte de Pandore qui, si elle venait à être débranchée, signerait l’extinction de tous les glaciers alpins. Cependant, je tiens au geste de glaner ces glaces les unes après les autres. Ici se trouve la poésie du projet. Un geste « fou », « naif », « loufoque ». Tant de mots que mes interlocuteurs ont utilisé pour décrire ce projet. Mais c’est bien cette incarnation, cette attitude de dévotion totale et surtout la participation sans faille du corps qui donnent du sens à une telle action, flirtant constamment avec l’absurde.

Ainsi, je décide de ne pas stocker plusieurs glaces dans la glacière, mais de penser le dispositif comme un fil tendu entre les montagnes : les fragments récoltés seront déposés sur le prochain glacier rencontré et ainsi de suite, créant peu à peu une chaîne dont chaque maillon sera un glacier, liant les massifs alpins entre eux, collectivement assemblés en une force commune.



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05/05/23
Sortie de quelques heures pour explorer un peu plus en avant la route qui mène d’Annemasse à Chamonix. Je vais jusqu’à Marnaz, petit bled sur la D1205. Il est déjà tard dans l’après-midi et les nuages ont envahi le ciel. Pas un seul sommet neigeux en vue. Ça ne me donne aucune envie d’aller plus loin. Pourtant, derrière le versant de cette prochaine montagne y’a-t-il peut-être un magnifique panorama. Et puis la départementale est un peu déplaisante. C’est l’affluence. C’est l’heure.

Je me pose sur un parking pour faire quelques photos avec le vélo et la glacière. Je m’amuse à recréer une ancienne photo publiée sur Instagram, dans laquelle je faisais une drôle de tête en regardant la caméra, ma chatte et une bûche sous les bras. La vue est pas ouf.

Dans le même temps, je finalise l’appel à projet pour la résidence Création en Cours, qui me permettra peut-être de réaliser le travail avec une classe de primaire.



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05/23
Ces dernières semaines, je contacte tous les interlocuteurs locaux avec lesquels j’aimerais travailler : associations, écoles, pouvoirs publics… C’est dur parce je ne suis pas très à l’aise dans cet exercice. C’est dur parce que j’envoie de nombreuses perches et je reçois peu de réponses. Les quelques retours agissent telles de petites doses de dopamine : d’abord, c’est FNE qui se manifeste, puis l’association de protection de la montagne Mountain Wilderness France qui me rappelle. Puis vient le tour de la LPO Haute-Savoie, très enthousiaste et prête à collaborer. J’ai, à raison, choisi de contacter les antennes locales de ces associations de défense de l’environnement. En attendant que le projet se concrétise avec un établissement, j’ai déjà quelques pistes d’organismes et surtout de personnes avec qui mettre en place des sorties, des animations, des ateliers.

Au sujet des écoles, d’ailleurs, le voile est encore plus épais. J’envoie des mails à tous les collèges de Haute-Savoie, Savoie et d’Isère, adressés à l’enseignant référent culture. Mais, à mon avis, peu d’entre eux arrivent à destination. En ce qui concerne les écoles primaires, je contacte les communautés de communes, en demandant de faire passer le message aux écoles. Quelques-unes jouent le jeu. J’obtiens quelques réponses. Quelques pistes s’ouvrent aussi avec les collèges après avoir obtenu plusieurs précieux contacts de la part de la LPO Haute-Savoie. J’entre en discussion avec la Direction des Services Départementaux de l’Éducation Nationale (DSDEN), les départements, la DRAC et la DAAC. On me conseille d’inscrire mon projet sur la plateforme du Pass Culture Pro. C’est un dossier à remplir et une commission qui valide ou non la mise en ligne de « l’offre », à disposition des écoles. La deadline pour mettre en place un projet avec une classe de collège durant l’année 2023-24 se rapproche, les établissements « bouclant » tous leurs projets à cette saison-là de l’année.

Ce travail administratif est très pénible. Je trépigne, j’ai envie de partir, déjà. J’aimerais que ce soit aussi simple que je l’avais envisagé au début : décider sur un coup de tête de partir à la rencontre des glaciers, et le faire. Parfois je me gratte le front : dans quoi me suis-je embarqué ? D’un côté, cela me fait du bien de communiquer mes intentions à d’autres acteur·rice·s. De réfléchir à un travail commun. De créer de l’engouement autour du voyage. De ne pas, pour une énième fois, faire un projet qui passe sous les radars, invisibilisé par le manque d’intérêt des institutions artistiques pour des pratiques *réellement* hors-les-murs, qui explorent des horizons encore trop flous au regard de leur inertie. Et pourtant, c’est pas faute d’avoir essayé. Mon dossier déposé (en main propre !) à la Villa du Parc d’Annemasse n’a jamais reçu de réponse, même négative ! Tant pis, de nombreux autres interlocuteurs paraissent beaucoup plus enthousiastes ! Cette fois, pas besoin des institutions artistiques. Et de toute façon, ce travail n’est pour l’instant pas destiné au public des centres d’art contemporain.

Le travail prend vie, c’est vrai. Il commence à se structurer. À s’organiser. À se cadrer. Malgré cela, un sentiment reste bien figé dans un coin de ma tête. C’est cette fébrilité constante, cette agitation à l’intérieur de moi qui me pousse à conserver une part de folie dans ce projet, qui me conjure de ne pas succomber au poids de l’administration et de ne jamais oublier que mon désir premier (désir toujours vivant !) a été de déplacer une stalactite des Voirons jusqu’en Islande, à la marche, en le portant à bout de bras. Cette baguette glacée, elle est toujours dans mon congélateur. C’est la petite voix dans ma tête, qui me dit que je dois grimper d’un glacier à l’autre à bord d’un vélo-glacière. Coûte que coûte. Elle me dit que cela doit être fait. « Fait » comme « exécuté ». C’est nécessaire. Pour moi comme pour les glaciers. Je conserverai les traces que je souhaite, je les montrerai à qui voudra les voir si je le souhaite. Seul importe l’acte. Et sa complétion.



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01/06/23
Ce jeudi, après deux jours d’intense bataille avec mon vélo pour essayer de fixer ce dérailleur avant récalcitrant, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allé rencontrer les gens de l’asso « Pignon sur Rue ». C’est un atelier d’auto-réparation, à deux pas de chez moi. La personne qui m’accueille est un gars que je connais : Théo, qui a obtenu son master à la HEAD l’année dernière et dont j’avais pu voir les travaux. Il est salarié ici depuis deux mois. « C’est un job alimentaire, » me dit-il. Il précise : « le rêve ! ». Je remplis le papier d’adhésion et il me fait faire le tour du lieu. Très vite, il se penche sur mon problème de dérailleur. L’ajustement est un peu délicat alors un vieux briscard, Gérald, qui passe tout son temps à l’atelier, nous vient en aide. Au passage, il me montre comment redresser mon dérailleur arrière.

Puis un autre groupe d’habitués de l’association s’intéressent à mon vélo. Ils s’attroupent autour du cadre et y vont chacun de leur remarque. « Ha, la roue est voilée ». « Il faudrait changer les patins ». Ils touchent chaque partie du vélo. Évaluent chacun de ses aspects. Puis ils relèvent tout un tas d’autres détails qui m’échappent totalement, échangeant entre eux dans un jargon qui m’est totalement étranger. Au bout d’un moment, André triture mon dérailleur et se rend compte de l’état déplorable dans lequel j’ai laissé celui-ci (deux intenses jours de bricolage à me gratter la tête m’avaient amené à fixer l’objet sur le cadre avec deux vis à bois. Complètement n’importe quoi !) Alors, le vieil homme, qui semble bien être le président de l’association, relève ses manches. On démonte le dérailleur. Minutieusement, André prend le temps de fraiser trois nouveaux trous dans la plaque en aluminium qui sert à fixer l’objet au cadre. Nous passons de longues minutes à chercher les bonnes vis dans les nombreuses boîtes de quincaillerie de l’atelier. Une fois le problème solutionné, viens le temps de régler les vitesses. Comme celles-ci ne passent pas parfaitement, André se met en tête de changer mon dérailleur, qui n’est pas bien adapté à ma chaîne.

Théo me glisse à l’oreille : « si tu ne l’arrêtes pas, il va faire de ton vélo un bolide de course ! » Je ne dis pas non… Mais il est vrai que je me pose des questions à propos du zèle avec lequel André s’affaire sur mon vélo. Je ne crois pas qu’il soit uniquement motivé par un altruisme débordant. Ce que je vois, chez cet homme qui fait des aller-retours de la fraiseuse à la ponceuse pour parfaire la pointe d’un foret, c’est une profonde passion de la bidouille. Une joie non contenue de parfaire un vélo, étape par étape, jusqu’à ne plus entendre qu’un bruissement au pédalage, un claquement net au passage des vitesses. Jusqu’à ce que toutes les parties soient justement alignées à l’axe du cadre, à la courbure du pédalier…

Je reviens le lendemain, pour ajuster les derniers réglages, changer les patins… Sans surprise, André est encore là. De loin, il supervise les opérations. Aujourd’hui, Marianne, la deuxième et plus ancienne salariée, me donne un coup de main. Nous en profitons pour nettoyer la chaîne. Je suis couvert de graisse noire. Mon vélo est rutilant. La veille, j’avais évoqué le projet à Théo qui, très intéressé, avait déjà pensé à me mettre en relation avec un ami ingénieur. Dans l’entrepôt, il me montre les remorques sur deux roues que je pourrais utiliser pour transporter la glacière. Concernant mes prochains voyages, il n’a pas fallu plus d’un jour pour que tout le monde soit au courant : « alors, tu vas grimper sur les glaciers ? » « C’est quand le grand départ ? » me demandent André, Bernard, Marianne…

La prochaine fois, je reviendrai les voir avec des photos.




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06/06/23

Massif des Bornes : Plateau de Glières

Ça roule « comme dans du beurre ». C’est ce que je me dis en partant d’Annemasse, direction La Roche-sur-Foron. Bon ça roule pas vraiment « comme dans du beurre ». Ça, ça veut pas dire grand-chose. Cependant, les roues glissent sur l’asphalte autrement plus légèrement que les autres fois. C’est grâce à l’aide précieuse des gens de l’atelier.

10h. Je pars à toute berzingue. Il fait beau, le vent est très doux et dans mon dos. Suis-je devenu un cycliste du mardi ? Ça, je ne crois pas. Avec mon short et mon T-shirt, sans casque ni lunettes, je n’en ai ni l’allure, ni l’attitude. Je regarde les montagnes au loin, je pousse des cris et je rigole. Je manque de sérieux. Tant mieux ! Je ne suis pas un cycliste du mardi, moi ! Ni du mercredi ou du dimanche d’ailleurs. Je suis une glacière à propulsion humaine. Je suis la chaîne du froid qui parcourt les monts et vallées. Un fil tendu entre les glaciers, qui court le long des routes pour apporter un vent de fraîcheur.

Je dis ça et pourtant… Je n’ai pas apporté la glacière aujourd’hui. Le système de production d’énergie pour alimenter l’appareil n’étant pas au point, ne prévoyant pas d’aller récolter un morceau de glace dès à présent, j’ai fait le choix de voyager léger. Tant mieux pour moi, tant pis pour la glacière. Cette fois, c’est moi qui me régale !
Je ne fais qu’une bouchée de la vallée. N’ayant pas vraiment d’objectif précis aujourd’hui, je repère un passage entre deux montagnes. C’est ainsi que je m’engouffre dans la vallée de Glières, dépassant Saint-Pierre-en-Faucigny par la D12. Une route magnifique taillée à flanc de rocher, qui longe un ravin duquel se fait entendre, depuis le fond, le torrent d’une rivière. Enfin, ça monte. Mon vélo tient bon. Mon genou aussi. J’ai mis mes chaussures à cran, qui se fixent aux pédales. Cela m’aide beaucoup.

Les kilomètres défilent. À mesure que je grimpe, les flancs des montagnes se parent tour à tour de denses forêts, puis de falaises rocailleuses et abruptes. Au loin, j’aperçois un résidu de neige sur un sommet. Je m’en enthousiasme. En réalité, ce n’est pas la panacée. Mais cela signifie tout de même que, là-haut, il fait moins de 0°C ! Je prends quelques photos. Je rencontre quelques cyclistes. Après une légère descente qui me ramène au niveau de la rivière, un panneau attire mon attention. Il indique le début d’une route vélo qui grimpe jusqu’au plateau des Glières. Une ascension de six kilomètres, sur une route en pente moyenne de 11%. Je n’y connais rien, donc ça ne me fait ni chaud ni froid. Enfin… j’ai un point de repère : la maison dans laquelle j’ai vécu enfant est située dans une rue dont la pente de 13% m’a toujours impressionnée, au point de ne jamais la monter à vélo.

Mais aujourd’hui, j’ai besoin d’un véritable challenge. Alors je traverse la rivière et m’aventure sur l’itinéraire balisé. Après une centaine de mètres, la route se transforme soudainement en un mur. Mains moites. Lombaires qui souffrent. Je me rapproche du plus grand pignon. Manquant d’expérience avec mes cale-semelles, je m’arrête sans déloger mon pied gauche. Déséquilibré, je m’écroule sous le vélo, au bord de la route. Les muscles poussés à leur extrême limite, la tête qui tourne et le souffle coupé. Par trois fois je suis obligé de faire une pause. J’en profite pour admirer la vue. « Avoir la tête dans le guidon », c’est un truc de cycliste du mardi ça. C’est pas pour moi ! Je suis de plus en plus léger, mais mes ressources en eau diminuent à très grande vitesse. Et j’ai volontairement choisi un jour de plein cagnard pour cette sortie. Comme d’hab, je joue sur le fil.

Une petite bute laisse place à de vastes alpages coincés entre deux versants de montagne. Après avoir grimpé sur des routes de plus en plus étroites, s’enfonçant de plus en plus profondément dans la végétation, je ne m’imaginais pas déboucher sur un espace aussi dégagé. À 1400m d’altitude, l’arrivée au plateau est une délivrance. Et pourtant, me dis-je, je n’avais pas la glacière ce coup-là. Impossible de grimper ce genre de cols avec la glacière à l’arrière ! Une chose est sûre, j’ai besoin d’entrainement.

Un restaurant-gîte, « Chez Constance » est ouvert. Je commande un sandwich (mémorable) et observe le panorama. De denses forêts bouchent la vue sur une poignée de sommets, au loin. Je croyais que c’était les Aravis, avec un peu de neige sur les crêtes, mais pas du tout. C’était certainement l’Aiguille Verte, ou bien le pic de Jallouvre, ou je ne sais quelle autre montagne. Je griffonne le paysage pour m’en rappeler.

La serveuse fait de « la grimpe » aussi. Elle me parle de mes bandages en disant : « on fait tous ça ». Moi, je suis un peu confus. Qui d’autre que moi enfile ses vieux bandages utilisés trois fois, fixés avec du Duck tape, pour faire « de la grimpe » ? Surtout, qui d’autre que moi a du chili con carne à la place des mains ? Elle me parle de la vallée du Giffre, d’une autre route qui « envoie fort aussi ». Je ne comprends rien à ce qu’elle me raconte. J’ai pas du tout le vocabulaire. En quelques mots de sa part, elle me transmets la passion chirurgicale du cycliste (du mardi). Il y a des notes, des accords, qu’elle maîtrise parfaitement. Qui semblent faire sonner une mélodie organisée et harmonieuse, mais que je ne parviens pas à discerner. Je souris. Ses paroles collent parfaitement au profil droit et appliqué, implacable dans leur détermination, des cyclistes que j’ai croisés sur la route. J’ai bien essayé de leur dire bonjour, mais ils ne m’ont pas vu.

À défaut de trouver de la glace durant ma sortie aux Glières, je suis tombé (presque littéralement) sur des cailloux fins comme des feuilles. En fait, ils m’ont fait penser à des tas de feuilles en décomposition parce qu’ils s’empilaient en bas de la pente, au bord de la route. Et, tout comme une matière organique, les uns tombant sur les autres, toutes ces pierres s’effritent jusqu’à se transformer en poudre. J’ai noté dans mon carnet : « il faudra que je me renseigne sur les propriétés de cette roche ». Sur Internet, je lis que le plateau des Glières est principalement composé de roche calcaire. Mais ça n’y ressemble pas… C’est peut-être plutôt du schiste. Cela dit, j’ai ramené une de ces pierres avec moi, qui a commencé à s’émietter dès que je l’ai placée dans mon sac. En fait, ça fait un super puzzle. Du coup si quelqu’un veut un puzzle en cadeau, qu’il me demande et j’irai lui trouver un beau caillou ! Ha, j’aime les puzzles.





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07/07/23

Massif du Giffre : Névé des Chambres, Glacier du Folly, Grand Névé

Bon, cette fois, c’est du sérieux. Là où nous allons, j’ai de grandes chances d’enfin toucher un glacier pour de vrai ! Nous partons vendredi matin. Ni trop tôt, ni trop tard. Direction Samoëns, depuis Annemasse. Les 50 kilomètres à vélo passent vite. Ça grimpe un peu. Pour Camille qui m’accompagne dans ce voyage, c’est un véritable effort. Et les voitures qui nous dépassent à fond n’arrangent pas les choses.

À mi-chemin, nous découvrons que les deux freins de Camille frottent contre sa roue quand elle pédale ! On répare en s’arrêtant le long de la rivière Giffre, qui est presque à sec, mais dont l’eau claire nous donne déjà un avant-goût des glaciers.
Arrivés à Samoëns, nous entamons une montée de 4,5 kilomètres en pente raide. D’abord, la route grimpe en ligne droite, puis elle se met à faire des lacets sinueux. J’encourage Camille. Les derniers mètres sont difficiles pour elle. « Dans quoi me suis-je embarquée, » doit-elle penser. Je le vois dans son regard, à l’arrivée. Mais je vois aussi de la fierté.

Et il y a de quoi être fier. Pourtant, nous ne sommes pas encore arrivés pour autant. Nous accrochons les vélos derrière un arbre, sur le parking du Crêt, à 900 mètres d’altitude, puis débutons notre marche jusqu’au refuge du Folly. Le sentier s’engouffre entre deux montagnes. Nous entrons dans la forêt. Dense. Luxuriante. La lumière de fin d’après-midi se glisse entre les feuillages. Les clairières sont lumineuses. Mousse et fougères.

Nous croisons de temps à autre le lit de la rivières des Landes, complètement asséchée. Les pierres blanches sur lesquelles s’écoule habituellement l’eau des glaciers forment un chemin parallèle à celui que nous foulons. Le petit pont suspendu, qui devait permettre de croiser la rivière quand il n’était pas possible de passer à gué, se tient là, orphelin.

Peu à peu, nous sortons de la forêt et posons le pied dans un tout nouveau décor : fabuleux jardin, parsemé de gentianes jaunes et bleues, de marguerites de montagne, des pensées, des digitales pourpres, d’herbe grasse et, plus étonnant encore, de multiples espèces de feuillus. Encore quelques minutes de marche et nous arrivons au refuge du Folly, perché sur le flanc du Criou, surplombant un véritable paradis vert.

Jacques et Marie viennent tout juste de reprendre le refuge en 2022. Cet été, c’est leur première saison complète, mais ils sont déjà bien rôdés. La petite équipe de saisonniers qui est là pour les aider est vraiment très éclectique : le premier est guide de haute montagne au Népal. Il est en France pour l’année. La deuxième a tout juste fini sa thèse en géographie. Elle vient de Montpellier, tout comme les tenanciers d’ailleurs.

Je découvre le farcement, une recette typique de Haute-Savoie à base de pommes de terre râpées, de poitrine de porc fumée, de pruneaux et d’oignons. De quoi faire taire une bonne fois pour toutes les querelles entre ardéchois, lyonnais et genevois autour de l’origine de la crique ou du rösti. Pas besoin de galettes de pommes de terre quand on peut faire un si bon gâteau !

Bref. Les yeux rivés sur les hauteurs. Les névés pointent le bout de leur nez. Il est temps, enfin, d’aller à leur rencontre. Nous repartons sur le sentier qui mène au lac des Chambres. 600 mètres de dénivelé très raides. La végétation luxuriante nous accompagne jusqu’au premier névé. Nous empruntons un sentier en zigzag dans un pierrier avant de parvenir à la première étendue de neige. Je touche la surface glacée avec beaucoup d’émotions. Comment ce morceau de glace peut-il bien résister à la chaleur du soleil, si isolé et à si basse altitude (à peine 2100 mètres !) ? Cette question me taraude encore et j’ai hâte de la poser aux scientifiques. Nous remarquons, avec Camille, plusieurs différences entre les versants des deux montagnes qui nous entourent. Le Criou, que nous grimpons alors, abrite quelques névés épars et une végétation très diverse, contrairement au Tuet, en face, qui ne présente aucune formation neigeuse, recouvert essentiellement de conifères. On invoque l’exposition, qui pourrait être le facteur commun de ces divergences.

Tout comme la dernière fois, le vélo-glacière est encore en préparation. Ça me démange, mais je ne peux encore une fois pas ramener de fragment de glace avec moi. Enfin, la neige —plutôt que la glace ! Neige mouillée, même. Ce névé est en train de fondre et il ne tiendra pas tout l’été. De même pour le lac des Chambres d’ailleurs, encore à moitié gelé quand nous débouchons à son niveau, à 2100 mètres. D’ici, la vue sur la vallée du Giffre est époustouflante.

Nous continuons notre ascension au col des Chambres à travers la combe encore bien enneigée. À notre droite, les cascades d’eau glacée sillonnent entre les pierres, depuis le glacier du Folly qui surplombe le versant Nord des Grands Fats. À gauche, au loin, la pointe Rousse des Chambres, qui culmine à 2660 mètres. Après avoir emprunté un chemin de traverse qui rallonge notre marche d’une bonne heure —sens de l’orientation à revoir, nos pas nous guident vers un sentier enneigé, en forte montée. Faute de disposer de crampons et de bâtons, nous nous frayons un passage le long des rochers jouxtant les névés et parvenons à grimper jusqu’à un replat.

Le Grand Névé, une étendue de neige qui occupe encore, même à cette période de l’année, toute la largeur de la combe, nous accueille à bras ouverts. Cette fois, il est temps de se jeter dans le grand bain. Pour parvenir au col, nous sautons dans la neige et effectuons de premiers pas prudents. Les chaussures s’enfoncent de quelques centimètres. Mais la surface reste relativement stable. Et mouillée. Nos semelles collent légèrement à la neige et nous aident à garder l’équilibre.

Je commence tout juste à réaliser la majesté de ces glaciers, auxquels j’ai tellement rêvé. Aujourd’hui, contre toutes mes attentes, je les foule du pied. Et moi qui pensait ne pouvoir parvenir qu’à leur extrémité basse, voire ne jamais les effleurer du tout. Cette dimension nouvelle apporte son lot de problématiques : je ne m’étais pas préparé à chausser les crampons de sitôt. Et pourtant, en ce début de juillet, la raison aurait voulu que nous en soyons équipés. Les excursions d’hiver devront être préparées encore plus justement et plus précisément.

Mais ce n’est étonnamment pas le glacier qui représente la plus grosse difficulté de la journée. Ce n’est pas non plus le pierrier escarpé que nous traversons prudemment après avoir atteint le col des Chambres. Arrivés au Pas de l’Ours, dernière descente avant le refuge de la Vogealle, notre but de la journée, nous restons bouche-bée. Le sentier GR se transforme en un passage à flanc de falaise. La roche est friable, et mouillée. Le chemin se réduit d’abord, jusqu’à n’être plus qu’un étroit escalier perché au-dessus du vide. Aucun câble. Pas de main courante. Camille s’avance jusqu’à la première marche. Je la suis, quelques mètres derrière, mais cela ne me dit rien qui vaille. Soudain, sa gourde, glisse de la poche de son sac. Comme dans un film, l’objet dégringole, bute contre les parois de la falaise, longuement, jusqu’à ce que nous ne puissions même plus l’entendre.

C’en est trop. De gros papillons dans l’estomac m’indiquent qu’il ne faut pas aller plus loin. Nous nous arrêtons pour reprendre nos esprits. Après un échange à demi-souffle, nous décidons de rebrousser chemin, prudemment. Une fois remontés en lieu sûr, nous contemplons le plateau de la Vogealle, si près et pourtant inaccessible. Le refuge est là, 200 mètres plus bas. Nous apercevons également le lac de la Vogealle, un peu plus loin. On se console en se disant qu’il est moins beau que le lac des Chambres (on fait ce qu’on peut !). On se retourne et, immédiatement, notre regard est happé par l’immense cirque de Sixt-Fer-à-Cheval et ses cascades qui dégringolent le long des falaises du « Bout-du-Monde ».

Nous entamons la remontée. Cette fois, nous trouvons le sentier dans le pierrier et, après un passage un peu délicat pour franchir le lit d’un ruisseau, nous entamons la redescente depuis le col des Chambres. À notre droite et notre gauche s’élèvent la Pointe Rousse des Chambres et la Pointe de Bellegarde, trop enneigée pour que nous puissions y accéder.

Il nous faut retourner au refuge du Folly, car nos provisions d’eau sont presque à sec. Dommage, puisque le bivouac au lac des Chambres nous aurait offert un magnifique coucher de soleil sur les pelouses verdoyantes qui l’entourent. Pas dommage, car nous sommes accueillis à bras ouverts. Jacques et Marie nous servent deux grandes assiettes d’un bœuf bourguignon délicieux préparé par Dilip, le cuistot. Après plus de 1300 mètres de dénivelé positif, près de 10 heures de marche et une bonne frayeur, nous savourons cet instant. Ce drôle d’instant irréel.

De toute ma vie, je n’avais jamais vu la mort d’aussi près. Ce jour, je l’ai imaginé cent fois dans ma tête. Je l’ai tournée et retournée de toutes les façons, la mort. Au bord de la falaise, quand mon esprit a fusé dans tous les sens. Puis sur le chemin du retour, en imaginant ce qui serait arrivé si nous avions persisté. Et dans la nuit, les yeux ouverts, réalisant petit à petit que nous allions poursuivre notre vie, que nous allions descendre de cette montagne et reprendre nos activités quotidiennes.

Devant la mort, nous avons décidé de faire demi-tour. Nous avons été dans l’antichambre. Mais nous avons dit non. Et nous avons remonté la pente.

La prochaine fois, « on pourra faire un peu moins intense, » me confie Camille à notre retour à Annemasse, après un long trajet à travers la vallée de l’Arve. Oui, notre prochaine sortie à deux ressemblera moins à un trail qu’à des vacances. Mes prochaines excursions en solitaires seront aussi plus matures, mieux préparées et mieux renseignées. Je l’ai appris aujourd’hui : pas d’improvisation en montagne. Pas de faux pas. Sur les sentiers et sur les routes, il me faudra être bien stable et calculer mes risques.






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