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inspirations filmiques
L’image est au centre de ma pratique, accompagnée par la performance depuis quelques années déjà. Du dessin à la photo… petit à petit, c’est l’image animée qui a pris le pas sur les autres médiums, d’abord au travers du montage puis la réalisation de films. La grande majorité de mes productions vidéo utilisent comme matériau des images documentaires, tirées de ma vie, des personnes et des lieux qui m’entourent : un film réalisé avec des photos prises au supermarché, un court-métrage tiré d’images de mon quotidien pendant le confinement de mars-avril 2020…
Cherchant donc à travailler avec le film comme je le faisais déjà avec le texte pour réaliser mes recherches de terrain et raconter le récit de l’artiste confiturier, je me suis intéressé aux cinéastes ethnographes, notamment à Jean Rouch, figure de proue du genre et à son film Les Maîtres Fous (1954) qui documente les pratiques rituelles des Haoukas, une secte religieuse originaire du Niger. J’ai aussi découvert les films de Robert J. Flaherty, pionnier du cinéma documentaire avec Moana (1926) et L’Homme d’Aran (1934), mais surtout de la démarche collaborative et participative avec les sujets filmés. Dans Nanouk l’Esquimau (1922), Flaherty pose même les bases du docufiction, puisqu’il invente de toutes pièces le personnage éponyme en complicité et en discussion avec l’acteur inuit qui l’interprète. Son intention, cependant, est bien de capter le quotidien et les pratiques d’une famille inuite. Pour ce faire, à cause des limitations des moyens techniques de l’époque, il recourt à des procédés cinématographiques dont l’exemple le plus célèbre est l’habitat des inuits : pour les plans d’intérieur, l’équipe du film a construit une moitiée d’igloo, ouverte au grand jour, afin que la caméra, encore peu sensible à la lumière en 1922, puisse distinguer les gestes des personnages. Par la suite, la démarche participative et de fréquentation sera l’une des composantes essentielles du travail ethnographique et cinématographique de Jean Rouch.
Au cours de ces recherches, j’ai aussi trouvé dans le cinéma de Werner Herzog une approche originale et encore différente du documentaire. Dans des films comme Grizzly Man (2005) ou Rencontres au bout du monde (2007), qui s’intéressent respectivement à la vie d’un homme obsédé par les grizzlys d’Alaska et le quotidien de scientifiques en Antarctique, le réalisateur allemand adopte une position toute particulière. Agissant comme s’il était seul derrière la caméra, c’est lui qui mène l’enquête de bout en bout et qui narre le récit. Il s’implique dans ses documentaires comme protagoniste à part entière, comme le fil conducteur de l’histoire, sans quoi les différents lieux et personnes rencontrés n’auraient pas été mis en lien. Le cinéma de Werner Herzog m’a beaucoup inspiré, tant dans ses thématiques récurrentes que dans son processus de création. Très proche dans son rapport à la caméra et à l’écriture, la cinéaste française Agnès Varda a elle aussi réalisé des documentaires « à la première personne ». Dans Les Glaneurs et la Glaneuse (2000), elle met en rapport son travail de documentariste avec celui des glaneur·se·s de tous horizons et de toutes choses. Tandis qu’iels glanent des légumes, des encombrants, des déchets, Agnès Varda récolte, elle, des images. J’ai retrouvé dans mon activité d’artiste confiturier et dans mes travaux filmiques cette intention d’être un protagoniste de l’histoire, celui qui file le récit et qui tisse des liens entre les différent·e·s acteur·rice·s, espaces et temporalités.
C’est en m’intéressant au documentaire et au cinéma ethnographique, réfléchissant aux outils de l’artiste chercheur, que j’ai en fait conscientisé cette facette de ma pratique qui prenait le réel pour matériau et souhaité explorer les différentes formes filmiques. J’ai voulu mener ces travaux vidéo dans la continuité de mon travail d’artiste confiturier et voir dans la fiction, le documentaire, le film ethnographique… tant d’angles d’approche pour regarder le réel et expérimenter la pratique cinématographique. Il est vrai que j’ai pensé à un certain moment le film comme une potentielle finalité à mon travail qui, aux yeux de certains regards d’autorité, ne constituait qu’un travail préliminaire de documentation auquel je devais trouver une forme artistique. Il s’est avéré que ces films n’ont en réalité pas pris ce statut dans mon projet et ont simplement ajouté un niveau supplémentaire, une grille de lecture en plus à la quantité déjà importante de médias existants.
Agnès VARDA, Les Glaneurs et la Glaneuse (2000)