malo
malo
supermarket uppercut
2019-2020, Limoges, FR.
Performance, Série de 19 photographies (35mm, n&b), texte et vidéo (5’39’’, 1920x650, n&b)

Still
Still : not in motion, not moving, motionless.
As in "to stand still"

Still : free from sound or noise, quiet, silent.
As in "to keep still about something that bothers me"

Still : at the present time, for the present, as yet
As in "we are still waiting"

Still : one of the frames of a motion-picture film
As in "each of these products is a still of our life".



Carrelage blanc et joints noirs. Caméras. Mémés. Caddies. Caisse. Lumière. Radio. Promo. Packs. 1 acheté/1 offert.

Ça m’ennuie. Pourtant je voyage consciemment dans le supermarché, j’observe attentivement. Je m’attarde sur ce qui ne devrait pas attirer mon attention. Mais je suis témoin d’un espace figé, une sorte de lieu irréel dans lequel rien n’est en mouvement. Un état inerte dont je fais moi-même partie.

Je passe d’allée en allée. De rangée en rangée. Elles sont toujours remplies. Pas une fois, je n’ai à tendre le bras au fond du rayon. Les produits se présentent à moi comme dans un distributeur automatique. Il suffit que je tourne le dos pour qu’il se remplisse à nouveau. Le supermarché gomme mon passage comme il efface celui de tous les autres. Il engloutit l’unique trace de moi et la transforme en chiffres et en statistiques, qui lui serviront peut-être à me surprendre, en déplaçant les barquettes de poulet d’une rangée pour mieux les vendre.
Filet de blanc de poulet, France, 435g, 5.31 euros.
Ainsi j’ai cette impression, quand je vais au supermarché, d’être seul face aux produits. Ce n’est pas qu’une sensation, c’est un sentiment : moi, j’ai à disposition tout ce qu’il y a à l’intérieur de ce supermarché pour faire mes courses. Et tout ce qu’il y a à l’intérieur du supermarché naît au moment où je pose mon regard dessus. L’employé de rayon n’a pas existé. Le transporteur n’a pas existé. Le conditionneur n’a pas existé. Le producteur n’a pas existé.

Perte de lien. Raccourci. Simplification. Épuration. Automatisation. Contrôle.

Sur l’étal, un compartiment pour chaque fruit et légume. Et dans ces compartiments, chaque fruit et légume. J’achète un poireau. J’achète une courgette. Quand je la choisi sur l’étal, je dis : “cette courgette est très dure”.
Je peux faire une soupe de poireau et une salade de courgettes.
Poireau, France, à la pièce, 1.59 euros le kilo.
Courgette, Espagne, à la pièce, 2.99 euros le kilo.
Dans ma tête, je peux tout envisager car le supermarché me donne le choix. J’ai accès à tout ce qu’il est possible de manger en tout temps. Seules mes envies dictent mes achats. Je veux manger des tomates. J’achète des tomates. Je visualise cette recette à base de tomates. J’achète des tomates. Je vois des tomates. J’achète des tomates. Je suis seul face au tomates et entre elles et moi, rien ne se dresse. Je dois prendre la décision d’acheter telle ou telle variété. Tomate ronde, tomate grappe, tomate côtelée, tomate allongée, tomate kumato, tomate cerise…
J’ai le choix.

Déconstruction des liens logiques. Oubli. Tissage de nouveaux lien logiques. Restructuration.

Au rayon charcuterie, j’achète les lardons. Je suis fasciné par les boîtes de lardons. Il y a dans chaque boîte 140 lardons environs. Chacune fait environ 15 cm de longueur, 8 cm de largeur, 6 cm de hauteur. Contenu : 200 grammes de lardons, parfois 150. Prix allant de 1.10 à 2.76 euros. Certaines sont divisées en deux parties de 100 ou 75 grammes chacune, pouvant être scindées grâce à un pré-découpage dans le plastique. À l’intérieur, les lardons sont tous plus ou moins de la même forme et de la même taille : un centimètre de largeur sur un centimètre de hauteur. Trois centimètres de longueur. Au milieu de chaque lardon, une fine tranche de gras. On les appelle la plupart du temps des “allumettes”. Certains sont vendus en tant que “dés” de lardons. Ceux-ci sont légèrement moins longs que les autres.
Allumettes de porc nature, viande de porc française, 2x100g, 1.85 euros.
Les lardons sont le plus souvent vendus nature ou fumés. Chaque marque propose ce choix. D’autres les déclinent en version nature et fumés sans nitrites, fumés sans antibiotiques, nature -25% de sel, fumés -25% de sel, nature -25% de sel sans antibiotiques, fumés -25% de sel sans antibiotiques, fumés -25% de sel bio, fumés bio.
Je remarque que, selon la référence marchande que j’utilise, soit le magasin U à côté de chez moi, ne sont pas vendus les choix : nature sans antibiotiques, nature bio, nature bio -25% de sel, nature et fumés -25% de sel sans nitrite ou même nature et fumés bio sans nitrite, sans antibiotiques, -25% sel.

Recette pour faire des lardons soi-même. J’ai besoin de me procurer un morceau de poitrine de porc fumée, fraîche ou salée sans nitrite, sans antibiotique, -25% de sel ou même bio. C’est la partie ventrale de l’animal. Je dois ensuite ôter la couenne et enlever le cartilage. Si le morceau est trop épais, il est nécessaire de trancher la poitrine en deux dans le sens de l’épaisseur. À présent, je peux tailler la viande en bâtonnets, en lamelles, en tranches ou en triangles, qu’importe.
Je dois maintenant faire blanchir les lardons, ce qui a pour effet d’enlever l’excès de sel qu’ils contiennent. Je verse mes lardons dans un grand volume d’eau, que je porte à ébullition. Il est important de mettre les lardons dans l’eau alors qu’elle est encore froide pour ne pas brusquer la viande et qu’elle rende son sel. Quand l’eau bout, je retire du feu, j'égoutte les lardons et les plonge dans un bol d’eau très froide. Si l’eau devient trop trouble, j'égoutte et replonge à nouveau les lardons dans de l’eau claire. Je dois ensuite déposer les lardons sur une assiette recouverte de papier absorbant afin de les éponger. Une fois cette étape réalisée, les lardons sont prêts à être grillés à la poêle et serviront à agrémenter de nombreux plats.

Je suis ce lardon et le supermarché est ma boîte. Ça m’ennuie. Mais je passe à la caisse. Je paie les lardons. Je paie les tomates, les poireaux, le poulet. Je sors du magasin. Je rentre chez moi. Je mets les produits dans mon frigo. Je mets les produits dans ma casserole. Je mets les produits dans mon assiette. Je mets les produits dans ma famille. Je mets les produits dans mes amis.

Je mets les produits en moi.

Je mets le supermarché en moi.

Coup de pied dans les rayons trop propres des supermarchés qui constituent notre quotidien : en texte et images, je dresse le portrait d’un lieu aseptisé, coupé du réel.

Les photographies sont prises selon un protocole strict : mon appareil photo attaché autour du cou, je me promène dans le supermarché et j’appuie sur le déclencheur une fois dans chaque allée jusqu’à ce que j’aie utilisé une pellicule entière. Je ne suis pas en mesure d’utiliser le viseur. Je ne sais pas exactement ce que je capte.