malo
malo
vélo-life
J’ai pris goût au vélo grâce à un long voyage effectué en août 2020, me faisant traverser la France de Lyon à Nantes en longeant la Loire, de Nantes à Dunkerque au plus près de la Manche. Mais avant cela, je n’avais repris la pratique du vélo que depuis deux ans, après l’avoir abandonnée pendant l’adolescence. Le premier vélo que j’ai acheté sur leboncoin, quand j’ai enfin décidé de ne plus prendre les transports en commun pour mes trajets quotidiens, était un vieux Peugeot jaune poussin, de taille junior et avec un mécanisme de vitesses à l’ancienne diposé en desous du guidon, rouillé et fonctionnant à moitié. Je l’avais trouvé stylé, il rentrait dans mon budget, alors je l’ai acheté, sans vraiment me poser de questions. Ce vélo s’est avéré très utile pendant près de deux ans, jusqu’à ce que je choisisse enfin de le remplacer pour une autre antiquité de seconde main, presque à ma taille cette fois, plus adapté à mes besoins et avec de vraies vitesses, pour préparer le grand voyage.
En somme, j’ai dû réapprendre à me déplacer en vélo, avec toutes les aptitudes et les comportements nouveaux que cela impliquait : des compétences de réparations essentielles à la détermination d’affronter le froid les jours d’hiver, de produire un effort physique quotidiennement avant d’entamer ma journée de travail. Jour après jour, mon corps et mon esprit se sont habitués à ce que je ne me rende plus à l’arrêt de bus, mais que je sorte mon vélo dans la rue, que je saute sur la selle et pédale jusqu’à l’école. Ce rituel est progressivement devenu la normalité au point qu’aujourd’hui, prendre les transports en commun est pour moi un geste bizarrement inconfortable, payer pour me déplacer représente une dépense superflue, utiliser une « cage en métal »¹ pour un court trajet semble inadéquat.
Cela est renforcé par le fait que j’ai toujours réussi à transporter tout et n’importe quoi avec mon vélo en lui attachant tour à tour une charrette, en remplissant mes sacoches à outrance ou en portant mon bagage à bout de bras. Je considère la bicyclette comme un outil, plus qu’une passion, un moyen de déplacement qui répond à mon désir de voyager sans polluer, de faire du sport au quotidien, de rendre la ville plus sûre et moins bruyante et de libérer de l’espace pour les habitant·e·s. Des idées que je ne suis pas le seul à supporter comme l’explique David Le Breton dans l’essai En Roue Libre : « le statut du vélo s’est profondément modifié ces dernières années : d’instrument du pauvre, il est devenu un outil de lutte, investit également comme mode de déplacement par les classes moyennes et les étudiants. [...] Un souci écologique se fait jour qui prend une ampleur grandissante au fil des années. Le vélo devient un emblème de l’écologie politique. »²
Ce sont ces aspirations qui m’ont poussé à décréter le vélo, de façon volontairement jusqu’au-boutiste, comme unique moyen de déplacement de l’artiste confiturier. C’était pour moi l’occasion d’affirmer un engagement relevant d’une attitude éco-responsable, une façon de vivre qui intègre ces principes et que le philosophe Thierry Paquot qualifie d’écologie existentielle³, mais aussi de porter un autre regard sur le territoire, dans la continuité de ma réflexion sur la localité.
¹ Voir Stupeflip - Les cages en métal, Stup Religion [CD], 2005
² David LE BRETON, En roue libre, une anthropologie sentimentale du vélo, Terre Urbaine, 2020, coll. L’Esprit des Villes.
³ Thierry PAQUOT, Petit manifeste pour une écologie existentielle, Bourin Éditeur, 2007, coll. Essai.
En effet, la pratique du vélo a déterminé un espace géographique de la pratique de l’artiste confiturier. Très pragmatiquement, l’obligation d’utiliser le vélo m’a amené à réfléchir aux implications de chaque déplacement, et chacun de ces déplacements a contribué à la création d’une zone dans laquelle était inscrite ma pratique. Mon intention première était de rencontrer des acteur·rice·s de l’économie locale de la confiture. La bicyclette, en définissant des limites spatiales à ma capacité de déplacement, a renforcé ce besoin de travailler avec des agents de proximité. À cette contrainte positive s’est ajoutée une relation singulière au temps, qui apportait une facette supplémentaire à « l’ADN » de l’artiste confiturier.
Enfin, le vélo a contribué de façon très importante à l’élaboration du récit de l’artiste confiturier. Les trajets effectués pour aller à la rencontre des acteur·rice·s, en ville ou à la campagne, de courte ou de longue durée, étaient tous différents et regorgeaient de paysages, d’atmosphères et de situations à décrire. Même les allées et venues quotidiennes, en inscrivant les reliefs et le rythme de la ville directement dans mon corps, produisaient leur propre histoire de l’habitude. En tant qu’artiste confiturier et cycliste, je tissais mon réseau à la force de mes mollets. Je connectais les points en pédalant. J’étais le personnage principal du récit, le conteur de mes propres aventures.